"La souffrance humaine dérive de l'abus. Cet abus dérive de la croyance, c'est à dire de tout ce qu'on a bu, de tout ce qu'on a cru" disait Elsa Cayat
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"La souffrance humaine dérive de l'abus. Cet abus dérive de la croyance, c'est à dire de tout ce qu'on a bu, de tout ce qu'on a cru" disait Elsa Cayat
Elsa Cayat : la psy de Charlie Hebdo assassinée
La seule femme parmi les douze victimes des terroristes était psychiatre, psychanalyste. Une tornade, le rire aux lèvres, la liberté comme un chemin de vie. Elle tenait deux fois par mois dans l’hebdomadaire satirique une chronique intitulée « Charlie Divan ».
La romancière Jacqueline Raoul-Duval est la tante du Dr Elsa Cayat, tuée mercredi dans les locaux de « Charlie Hebdo ». Elle nous fait parvenir ce texte-hommage :
Elsa Cayat est ma nièce. Une femme que j’aime infiniment pour sa liberté d’esprit, son exigence intellectuelle, son extraordinaire gaieté. Elle rit en permanence même lorsqu’elle profère des vérités dures à entendre.
Il faut tout dire, me répète-t-elle, n’aie peur de rien, affranchis-toi.
Libère toutes tes forces. Éclate.
Il y a quelques semaines, elle m’a confié au téléphone qu’au fil des années elle avait fait un tel travail sur elle-même, un travail sans concession, sans répit, – elle avait essuyé comme un marin tant de tempêtes –, qu’elle avait acquis le pouvoir de gouverner sa vie, raisonnablement. Kant, Hegel, Schopenhauer dont elle étudie encore les textes comme une étudiante avide d’apprendre, l’ont aidée à acquérir une splendide maîtrise de ses émotions. À établir une distance. Une zone de protection. Une zone de réflexion.
Elle est peut-être la femme la plus forte que je connaisse, la plus attentive aux autres, la plus chaleureuse ; les gens très polis, polis comme un galet sans cesse roulé par la mer, sont souvent choqués par son exubérance, son extrême vivacité, elle est toujours en mouvement, elle parle très fort, rit plus fort encore, elle agite sa tête, ses longs cheveux noirs pour ponctuer ses propos et elle allume une cigarette après l’autre. Elle aime la fête, le champagne, les réunions familiales, les voyages. Cet été, avec une partie de l’équipe de « Charlie Hebdo », elle retournera au Pérou, elle veut revoir le chaman qui l’a vraiment impressionnée, l’été dernier. Tu veux venir avec nous ? ajoute-t-elle aussitôt, viens, c’est à la dure mais tu verras des choses dont tu n’as pas idée....
Interne des hôpitaux de Paris à 22 ans, médecin psychiatre, elle s’est dès son installation constitué une énorme clientèle, des intellectuels fascinés par sa qualité d’écoute, son pouvoir d’analyse, sa fulgurance.
Ses consultations commencent tous les jours à 8 heures, se poursuivent jusqu’à 20 heures et au-delà. Travailler, réfléchir, écrire, élever sa fille, Hortense, le plus haut possible, toujours ce besoin d’excellence, voilà ses passions.
Son premier livre « Une femme + un homme, c’est quoi ? » a paru chez Fayard, le second : « Le désir et la putain » chez Albin Michel ; un manuscrit est en lecture chez deux éditeurs.
Quand, pour la première fois, elle me parle de « Charlie-Hebdo » auquel elle collabore depuis quelques années, j’ai l’impression qu’elle me confie une rencontre amoureuse, tous les superlatifs défilent, elle allume une autre cigarette, elle boit une gorgée de vin pour exalter plus encore les qualités de son directeur, Charb, de son équipe, quel talent, quel courage, aucune prudence ne freine leur volonté, leur impatience de dénoncer la bêtise, l’intolérance, l’exclusion.
Hier matin, j’ai laissé un message sur le téléphone d’Elsa pour lui dire, très mal, combien je pensais à elle, à la perte qu’elle venait de subir. Je n’ai pas imaginé une seconde qu’elle était au journal, parmi ceux qu’elle appelait « ma deuxième famille ».
Je ne peux pas croire que trois monstres, trois « bêtes immondes », ont, de sang-froid, réduit au silence Elsa, ma nièce très chérie.
Si vous ne saviez pas…
Elle l’avait dit en demi teintes- en murmures à peine audibles
Peut-être en révoltes retenues par la raison voilée
Si vous ne saviez pas
Elle a construit ses émotions
sur des sentiers creusés
comme autant d'obstinations tracées
Elle s’enfuit et pourtant
demeure accrochée à l’horloge du temps,
un temps sans aiguille
un temps sans cadran.
Cauchemar
Comme elle a dû se sentir écartelée
par les minutes suspendues au vide.
Par les promesses de folie
Elle s’enfuit
idées sombres
fumée noire
Elle s’enfuit
Comme elle a dû s’enivrer des désespérances,
des instants perdus et déshydratés.
Elle s’enfuit
mais les voix flottent au-dessus de ses naufrages
qui sont autant de sacrifices sur des radeaux de fortune.
Elle s’enfuit
la main toute engourdie
mais prête à marquer
les points de suspension,
les lettres raturées,
les bribes d’une histoire défaite.
Elle s’enfuit
avec
l’ennui qui se griffonne
avec
les silences qui s’éveillent
à l'ombre des mauvais rêves.
Elle s'enfuit...
Peut-on inventer de nouvelles manières d'exister? Peut-on échapper à la normativité?
Maria D
Il s’en est allé
dans les gestes répétés,
dans le poids des mots retenus
dans le vol des années pressées …...envolées.
Il est parti
dans de faux oublis telle une flèche fouettant le temps
comme une lame acérée s’enfonçant dans l’instant
de lassitude.
Il s’est ployé
sous les paroles et les serments pathétiques
à l’éclat des faiblesses
aux promesses célébrant au gré des jours
les tombeaux du destin
Il s’épuise des excuses répétées
Pour ne pas pleurer
Pour ne pas hurler
"Il est poli d'être gai"
Voltaire
"Pourquoi le bonheur, on le reconnaît seulement au bruit qu'il fait en partant?"
Jean Louis Fournier « Veuf »
Illustration Maria D
Il est une arme de répit pour sécher les larmes de sang prises au piège de l’innocence.
Il est l’oubli provisoire du temps
Le dernier soupir au goût suranné
C’est la voile qu’on déploie et qui plie sous le poids des défaillances
Il est là, tenace
dans les yeux trempés, sur le front plissé des rêves rompus qui ont gravé les quelques contrats de vie pathétiques
dans les gestes répétés d’un corps fourbu de lassitudes
Il fuit
Il se recroqueville
Abaisse les paupières et se glisse entre les mots , ceux provisoirement répandus.
Les regrets s’écrivent ou se meurent sur une page vierge
Quand la plume figée s’enclave dans la torpeur
Quand elle vacille entre l’oubli qui saigne et le rappel au monde
Il faut se jeter dans le vide pour croiser, entre deux murmures, la caresse du vent,
le cortège des larmes sur le chemin des ombres.
Elle s’essaie au ballet des mots et rassemble quelques lettres déplumées
avant de trébucher dans l’œuvre du silence ennemi.
Une phrase cette déchirure volée au sourire du rêve pour des fiançailles avec la solitude et l’attente sur des ruines du monde .
Sait-on jamais ?
Un soir d’orage, un soir d’étoiles un soir d’oubli et l’écriture se donnera comme des promesses échouées sur du papier buvard.
*illustration Maria D