Elle entend la mélodie provenant d’une fenêtre restée ouverte, une chanson de Cabrel « je l’aime à mourir » croit-elle ou peut-être « je l’aimais, je l’aime, l’aimerai » qui passe sur les ondes d’une radio lointaine. Elle lève la tête et croise le regard d’une femme qui scrute l’horizon. Ce regard ne lui est pas hostile. Un regard différent de celui de sa mère. On ne s’y noie pas, on s’y accroche pour lire les mots, les mots d’une histoire d’amour, pas comme les autres. Une histoire que sa mère ne lui a pas racontée avant de s’endormir. Une histoire sans juge ni témoin qu’elle peut lire dans le regard de cette femme penchée à la fenêtre. Cette femme ne bouge pas, seuls ses yeux retracent le chemin de sa vie, son voyage engagé à corps perdus où corps et âmes se retrouvaient dans la tourmente des délices féminins. Les mots ,enfouis au fond d’elle-même, elle voudrait lui offrir comme un cadeau de naissance. Naissance d’un amour qu’elle a vécu en partage avec sa mère. Mais elle restera muette ce soir là. Elle rentrera et fermera la fenêtre pour en ouvrir une autre, celle qu’elle garde secrète et ouverte sur l’autre, l’autre monde. Et là dans un petit trou de lumière qu’elle s’est inventée, elle va s’y plonger encore. Encore un peu plus jusqu’à s’en brûler les yeux, toujours un peu plus. Histoire de retrouver la chaleur qu’elle éprouvait à la faire frémir sous les caresses qu’elle dessinait sur son corps abandonné aux plaisirs, abandon éphémère mais d’une intensité qui lui semblait éternelle. Histoire qui lui brûle les doigts et dont elle se couvre des parfums, des couleurs pour un voyage solitaire, pour une naissance à jamais inventée. Histoire à deux voix, à deux voies aussi pour éviter de trop l’approcher, pour ne pas sentir son souffle lui murmurer son rêve, celui d’autrefois, celui qui ne l’a pas fait rougir ou peut-être pour d’autres raisons, d’autres horizons. "Je m'attendais moi-même (...) Je me disais(...)il est temps que tu viennes Pour que je sache enfin celui là que je suis" Apollinaire vient à sa rescousse tandis que du pouce elle fait tourner le mince fil d’or qui entoure son annulaire…L’envie d’écrire, toujours… Et déjà elle regrette cette complicité qu’elle s’est acharné à effacer, à éviter... Et déjà elle sent poindre ces chagrins qui reviennent, laborieux, remontant le fleuve d'une vie qui n'en finit pas de la pousser vers l'obscurité