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Je m'attendais moi-même

Son cœur s’emballe et son esprit se noie dans l’eau de sa mémoire devant tant de désirs avoués et entendus en un mois de décembre quand les arbres seuls témoins discrets gémissaient une complainte, la même que celle d’aujourd’hui où là sur un trottoir glacé, se tient  une petite fille devenue grande, aux cheveux bouclés.  C’est Marion, pense-t-elle qui attend qu’on lui fredonne les mots, les mots qui lui donnent des ailes et qui lui rappelleront peut-être les moments de douceur. Ceux qui envahissaient sa mère et qu’elle partageait dans le silence. Sans rien dire, sans bouger.

 

Elle entend la mélodie provenant d’une fenêtre restée ouverte, une chanson de Cabrel « je l’aime à mourir » croit-elle ou peut-être « je l’aimais, je l’aime, l’aimerai » qui passe sur les ondes d’une radio lointaine. Elle  lève la tête et croise le regard d’une femme qui scrute l’horizon. Ce regard ne lui est pas hostile. Un regard différent de celui de sa mère. On ne s’y noie pas, on s’y accroche pour lire les mots, les mots d’une histoire d’amour, pas comme les autres. Une histoire que sa mère ne lui a pas racontée avant de s’endormir. Une histoire sans juge ni témoin qu’elle peut lire dans le regard de cette femme penchée à la fenêtre. Cette femme ne bouge pas, seuls ses yeux retracent le chemin de sa vie, son voyage engagé à corps perdus où corps et âmes se retrouvaient dans la tourmente des délices féminins. Les mots ,enfouis au fond d’elle-même, elle voudrait lui offrir comme un cadeau de naissance. Naissance d’un amour qu’elle a vécu en partage avec sa mère. Mais elle restera muette ce soir là. Elle rentrera et fermera la fenêtre pour en ouvrir une autre, celle qu’elle garde secrète et ouverte sur l’autre, l’autre monde. Et là dans un petit trou de lumière qu’elle s’est inventée, elle va s’y plonger encore. Encore un peu plus jusqu’à s’en brûler les yeux, toujours un peu plus. Histoire de retrouver la chaleur qu’elle éprouvait à la faire frémir sous les caresses qu’elle dessinait sur son corps abandonné aux plaisirs, abandon éphémère mais d’une intensité qui lui semblait éternelle. Histoire qui lui brûle les doigts et dont elle se couvre des parfums, des couleurs pour un voyage solitaire, pour une naissance à jamais inventée. Histoire à deux voix, à deux  voies aussi pour éviter de trop l’approcher, pour ne pas sentir son souffle lui murmurer son rêve, celui d’autrefois, celui qui ne l’a pas fait rougir ou peut-être pour d’autres raisons, d’autres horizons. "Je m'attendais moi-même (...) Je me disais(...)il est temps que tu viennes Pour que je sache enfin celui là que je suis" Apollinaire vient à sa rescousse tandis que du pouce elle fait tourner le mince fil d’or qui entoure son annulaire…L’envie d’écrire, toujours… Et déjà elle regrette cette complicité qu’elle s’est acharné à effacer, à éviter... Et déjà elle sent poindre ces chagrins qui reviennent, laborieux, remontant le fleuve d'une vie qui n'en finit pas de la pousser vers l'obscurité

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